Alors comme ces derniers jours j'étais enfermée avec les ouvriers 10h par jour, j'ai eu tout le temps de discuter avec eux, et surtout avec Don Luis, que vous avez déjà vu sur les photos.
Don Luis est celui qui est resté le plus longtemps jusqu'à maintenant, parce que c'est un ouvrier spécialisé dans le bois et c'est donc à lui que revient le travail de précision. En fait il est sous-traitant pour l'entreprise qui pose les parquets, et il est appelé en renfort pour la finition.
Don Luis a entre 55 et 60 ans environ. Il vient d'un village dans le département du Santander (à mi-chemin entre Bogota et la côte Caraïbe). Il est devenu orphelin étant encore enfant et il a grandi en se débrouillant plus ou moins seul. Il a finit par être recueuilli par un orphelinat, mais c'était déjà trop tard pour qu'il puisse aller à l'école primaire et il a donc commencé à travailler. Jeune garçon, avec son frère, il a défriché des terres dans sa région natale. Après quelques années, l'Etat leur a octroyé des titres de propriété pour ces terrains: 100 hectares pour lui, 150 pour son frère.
Don Luis s'est marié très jeune. Il a eu une première fille, mais son épouse est morte en donnant naissance à leur deuxième fille. A cette époque, les mouvements de guerrilla prenaient leur essor en Colombie. L'ELN (Ejercito de Liberacion Nacional), un mouvement de guerrilla essentiellement paysan a justement été créé en 1964 dans le département du Santander. Dans les années 70 la région a été le théatre d'affrontements très violents entre la guerrilla et l'armée régulière, poussant la population locale à la fuite. Don Luis dit que s'il avait attendu quelques semaines de plus, il ne serait plus là pour raconter. Il est parti avec quelques affaires et sans ses filles, qui sont restées avec sa belle famille. Il a perdu toutes ses terres et même aujourd'hui il n'y a apparemment aucun moyen de les récupérer.
Don Luis est arrivé à Bogota en 1976. Il s'est spécialisé dans le travail du bois. Dans les années quatre-vingt il a eu un grave accident de travail: une machine lui a pratiquement sectionné la main gauche. Il a accouru à l'hôpital, où les chirurgiens ont d'abord voulu l'amputer. Don Luis a refusé. Les médecins l'ont recousu mais il n'a pas eu tous les soins nécessaires non plus. Du coup il n'a pas récupéré toute la mobilité de sa main et de ses doigts: sa main gauche est tordue vers l'intérieur et ses doigts se peuvent pas se refermer pour saisir les petits objets. Il peut quand même s'aider de sa main gauche pour travailler, mais elle se fatigue beaucoup plus vite que la droite.
Don Luis a refait sa vie à Bogota. Il a deux filles et deux garçons entre 4 et 19 ans avec Doña Belén, qui doit avoir une dizaine d'années de moins que lui. L'aînée est déjà partie du foyer, vit en union maritale et a un bébé. Doña Belén est cantinière pour l'école du quartier. La semaine, elle fait la cuisine pour 300 enfants, et le week-end elle vient aider Don Luis sur ses chantiers. Ils vivent dans une petite maison qu'ils ont acheté à Soacha, au sud de Bogota. Pour arriver jusqu'à l'appartement ils ont entre 1h30 et 2h30 de transport. Bientôt ils vont élever un étage pour agrandir la maison.
Don Luis est payé à la tâche, donc il ne compte pas ses heures. Pour la pose et le ponçage du plancher, il est payé 9000 pesos (3€) le mètre carré. Pour l'appartement cela lui a donc fait une trentaine de mètres carrés, et il y a passé plusieurs journées de 9h de travail non stop en moyenne. Il travaille tous les jours que Dieu fait et n'a pas pris de jour de congé depuis 6 mois. Il dit qu'à la maison il tourne en rond: il préfère aller travailler et gagner de l'argent. Don Luis peut gagner jusqu'à 4 millions de pesos (1 300€) certains mois, ce qui est un très bon salaire en Colombie. Un jeune diplômé universitaire, par exemple, commence à 1,5 - 2 millions de pesos mensuels.
Don Luis a commencé à apprendre à lire, écrire et calculer il y a 3 mois. Il lit bien les chiffres car c'est ce dont il se sert le plus pour travailler (pour lire le mètre ruban par exemple). Il sait additionner et un peu soustraire, mais pas multiplier ou diviser. Pour ça, il se sert de sa calculette. Pour les lettres, il reconnaît les mots, ce qui lui permet de vérifier qu'il ne signe pas n'importe quel contrat, mais pour l'instant il est plus à l'aise si on lui lit. Il sait écrire son nom et son numéro de carte d'identité (essentiel en Colombie, on te le demande 10 fois par jour).
Voilà! Don Luis a terminé le parquet ce soir à 20h et a reçu le solde de tout compte. Il avait déjà deux autres chantiers en cours. Chômage? Connais pas! Repos non plus... La p'tite abeille a travaille fort... bzzz bzzz bzzz....
Don Luis a entre 55 et 60 ans environ. Il vient d'un village dans le département du Santander (à mi-chemin entre Bogota et la côte Caraïbe). Il est devenu orphelin étant encore enfant et il a grandi en se débrouillant plus ou moins seul. Il a finit par être recueuilli par un orphelinat, mais c'était déjà trop tard pour qu'il puisse aller à l'école primaire et il a donc commencé à travailler. Jeune garçon, avec son frère, il a défriché des terres dans sa région natale. Après quelques années, l'Etat leur a octroyé des titres de propriété pour ces terrains: 100 hectares pour lui, 150 pour son frère.
Don Luis s'est marié très jeune. Il a eu une première fille, mais son épouse est morte en donnant naissance à leur deuxième fille. A cette époque, les mouvements de guerrilla prenaient leur essor en Colombie. L'ELN (Ejercito de Liberacion Nacional), un mouvement de guerrilla essentiellement paysan a justement été créé en 1964 dans le département du Santander. Dans les années 70 la région a été le théatre d'affrontements très violents entre la guerrilla et l'armée régulière, poussant la population locale à la fuite. Don Luis dit que s'il avait attendu quelques semaines de plus, il ne serait plus là pour raconter. Il est parti avec quelques affaires et sans ses filles, qui sont restées avec sa belle famille. Il a perdu toutes ses terres et même aujourd'hui il n'y a apparemment aucun moyen de les récupérer.
Don Luis est arrivé à Bogota en 1976. Il s'est spécialisé dans le travail du bois. Dans les années quatre-vingt il a eu un grave accident de travail: une machine lui a pratiquement sectionné la main gauche. Il a accouru à l'hôpital, où les chirurgiens ont d'abord voulu l'amputer. Don Luis a refusé. Les médecins l'ont recousu mais il n'a pas eu tous les soins nécessaires non plus. Du coup il n'a pas récupéré toute la mobilité de sa main et de ses doigts: sa main gauche est tordue vers l'intérieur et ses doigts se peuvent pas se refermer pour saisir les petits objets. Il peut quand même s'aider de sa main gauche pour travailler, mais elle se fatigue beaucoup plus vite que la droite.
Don Luis a refait sa vie à Bogota. Il a deux filles et deux garçons entre 4 et 19 ans avec Doña Belén, qui doit avoir une dizaine d'années de moins que lui. L'aînée est déjà partie du foyer, vit en union maritale et a un bébé. Doña Belén est cantinière pour l'école du quartier. La semaine, elle fait la cuisine pour 300 enfants, et le week-end elle vient aider Don Luis sur ses chantiers. Ils vivent dans une petite maison qu'ils ont acheté à Soacha, au sud de Bogota. Pour arriver jusqu'à l'appartement ils ont entre 1h30 et 2h30 de transport. Bientôt ils vont élever un étage pour agrandir la maison.
Don Luis est payé à la tâche, donc il ne compte pas ses heures. Pour la pose et le ponçage du plancher, il est payé 9000 pesos (3€) le mètre carré. Pour l'appartement cela lui a donc fait une trentaine de mètres carrés, et il y a passé plusieurs journées de 9h de travail non stop en moyenne. Il travaille tous les jours que Dieu fait et n'a pas pris de jour de congé depuis 6 mois. Il dit qu'à la maison il tourne en rond: il préfère aller travailler et gagner de l'argent. Don Luis peut gagner jusqu'à 4 millions de pesos (1 300€) certains mois, ce qui est un très bon salaire en Colombie. Un jeune diplômé universitaire, par exemple, commence à 1,5 - 2 millions de pesos mensuels.
Don Luis a commencé à apprendre à lire, écrire et calculer il y a 3 mois. Il lit bien les chiffres car c'est ce dont il se sert le plus pour travailler (pour lire le mètre ruban par exemple). Il sait additionner et un peu soustraire, mais pas multiplier ou diviser. Pour ça, il se sert de sa calculette. Pour les lettres, il reconnaît les mots, ce qui lui permet de vérifier qu'il ne signe pas n'importe quel contrat, mais pour l'instant il est plus à l'aise si on lui lit. Il sait écrire son nom et son numéro de carte d'identité (essentiel en Colombie, on te le demande 10 fois par jour).
Voilà! Don Luis a terminé le parquet ce soir à 20h et a reçu le solde de tout compte. Il avait déjà deux autres chantiers en cours. Chômage? Connais pas! Repos non plus... La p'tite abeille a travaille fort... bzzz bzzz bzzz....
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